vendredi 2 mai 2014

Les gens vivants

Dernière journée de cette résidence à la bibliothèque Raymond-Lévesque.
L'heure du bilan est arrivée.

Est-ce que j'ai réussi à écrire autant que je le souhaitais? Difficile à déterminer. On voudrait toujours qu'un miracle fasse en sorte qu'on écrive un chef-d’œuvre en deux temps, trois mouvements, mais on sait très bien que les miracles n'existent pas. Pour répondre à la question, j'ai d'abord tracé un bilan « quantitatif » :

J'ai terminé un album qui était déjà bien avancé et l'ai envoyé à un éditeur.
J'ai terminé à 90 % l'album « principal » de ma résidence, soit le projet que j'avais soumis.
J'ai terminé au moins 50 % du premier jet d'un autre album, que j'ai l'intention de continuer par la suite.
J'ai écrit environ le tiers du premier jet d'un autre album, mais je ne sais pas encore si je le continuerai ensuite.
J'ai terminé à environ 80 % le premier jet d'un roman pour les 6-9 ans (celui inspiré par la mascotte).

C'est bien beau tout ça, mais en écriture, le quantitatif ne veut pas dire grand-chose. Des pourcentages, des nombres de mots ou de pages, des fractions, des heures, les chiffres ne valent rien tant qu'un éditeur ne nous a pas dit : «  Nous sommes intéressés à publier votre texte. » D'ailleurs, les chiffres ne veulent pas dire grand-chose non plus par la suite. Les initiés comprendront ce que je veux dire.

C'est pour cette raison que, pour évaluer les retombées d'une résidence de création, le bilan qualitatif est tout aussi important. Je relis mon cahier (et non ce carnet) de résidence et je n'en reviens pas de toutes les étapes par lesquelles je suis passée en neuf semaines. Un départ en coup de canon, le freinage brusque dû au syndrome de l'imposteur, les questionnements et remises en question, les hauts et les bas, les idées notées, les préparations d'ateliers, les émotions ressenties et les prises de conscience. Première prise de conscience : Ce n'est pas parce que j'étais en résidence que j'ai pu me transformer en auteure à la plume continue et prolifique. En écriture comme dans le travail, j'ai un rythme qui n'a rien de régulier. Je ne produis pas de façon constante et soutenue, à moins d'avoir à faire face à un échéancier serré. Donc, j'avais beau mettre le bouton à on à mon arrivée à la bibliothèque, il y a des jours où la machine démarrait et il y en a d'autres où je n'étais pas « efficace ». Je mets le mot entre guillemets car, comme je le disais plus haut, le quantitatif ne veut rien dire. Quand je n'étais pas efficace, des choses étaient probablement en train de se mettre en place dans ma tête.

Une découverte dès les premiers jours : l'importance d'avoir une discipline, de me fixer du temps pour écrire et m'y tenir quoi qu'il advienne ou presque. Parce que quand quelque chose arrive d'inattendu, c'est toujours le temps pour écrire qui écope. Parce qu'écrire chez soi, c'est assez facile quand tout va bien, mais quand ça va moins bien, c'est là qu'une discipline peut s'avérer nécessaire. Parce qu'en deux mois, il y a au moins une journée où on a mal à la tête, une journée où on a mal dormi la nuit précédente, une journée où on a des pépins domestiques, une journée d'imprévus, une journée où on n'a pas le goût... Et ce ne sont pas nos engagements (rencontres dans les écoles, ateliers, contrats...) que nous faisons sauter. Ce sont les heures d'écriture. Comme si écrire n'était pas important, comme si le temps consacré à l'écriture était superflu. C'est vrai que personne n'attend mon prochain livre. C'est la situation pour la plupart des auteurs.

L'écrivain n'est pas un chef d'entreprise dont les actionnaires attendent un rendement, un comptable dont on attend les déclarations de revenus, un médecin dont on attend qu'il soigne, guérisse, prescrive, un chauffeur de taxi qui doit amener son client à bon port, un serveur qui doit apporter les plats avec le sourire, un éditeur qui doit publier nos livres, un enseignant qui doit enseigner à notre enfant, un comédien qui doit donner une bonne performance, un athlète dont le commanditaire attend de bons résultats... Un écrivain dont on attend prochain livre? Ils sont peu nombreux. Les autres commettent des œuvres qui souvent passent inaperçues. C'est le lot aussi des artistes en arts visuels, des compositeurs et des auteurs-compositeurs, des chorégraphes, pour ne nommer que ceux-là.

Il y a bien sûr des cas où les lecteurs attendent fébrilement la suite d'une série, le prochain Untel ou Unetelle. Mais pour la plupart des auteurs, peu de gens accordent de l'importance à ce qui est à venir. Ça se comprend : l’œuvre n'existe pas encore. Et quand elle existera, elle ne sera qu'un grain de sable dans le Sahara des livres. Cette longue complainte étant émise, ce n'est pas une raison pour ne pas continuer.

C'est donc l'auteur et lui seul qui peut accorder une quelconque importance à ce qu'il fait. Lui seul qui peut bloquer du temps pour écrire, qui peut choisir de prendre ce temps au détriment du reste.

Changement de propos : j'ai apprécié la médiation culturelle dans ce qu'elle m'a permis d'être une passeuse. Partager avec des jeunes n'était pas une nouveauté pour moi, mais partager avec des adultes l'était. Enfin, presque. J'ai aimé l'expérience au point d'envisager de continuer dans cette voie, de créer des occasions pour avoir la chance de récidiver. Je me souviens d'avoir assisté à une conférence de Marie-Aude Murail il y a plusieurs années lors de laquelle elle disait à quel point il est important d'être des passeurs. Je crois que les bourses de création en résidence ont cet avantage par rapport aux bourses de recherche et création : elles permettent aux auteurs de passer, de donner, donc par le fait même de recevoir.

Je ne verrai plus les bibliothèques de la même façon. J'ai parlé des lieux de vie dans mon billet du 11avril. J'avais l'habitude d'entrer et de ressortir rapidement de « ma » bibliothèque, le temps de choisir des livres, ou encore d'être isolée dans une salle le temps de rencontrer les élèves d'une classe. J'avais oublié que les bibliothèques sont des lieux de vie, où des gens de tous âges vont passer beaucoup de temps. Il se passe plein de choses dans les bibliothèques, il y a des gens qui organisent des événements, des expositions, des échanges, etc. Il y a des gens seuls qui viennent lire les journaux. Il y a des parents qui VEULENT que leurs enfants lisent. Il y a des jeunes qui ne peuvent s'empêcher de bavarder (oh! souvenirs!). Il y a des généalogistes qui viennent fouiller. Il y a des amateurs de BD.

Il y a une mascotte qui rassemble les gens.

Il y a tout le personnel de la bibliothèque que je remercie chaleureusement pour leurs sourires quotidiens.

Je n'aime pas les départs, je n'aime pas les quais de gare, je n'aime pas les fins. Je vous laisse donc avec cette citation de Marie-Aude Murail : « La culture ce n'est pas un boulet, c'est un aliment pour les gens vivants! »


mardi 29 avril 2014

De belles rencontres

Hier, je rencontrais mon dernier groupe à la bibliothèque de Greenfield Park. Des jeunes de 3e année, dont on aurait pu me dire qu'ils étaient en 5e et je l'aurais cru. Ce n'est pas croyable ce qu'ils peuvent déjà posé comme questions en 3e année! Ils en posent toujours beaucoup sur les illustrations. Est-ce qu'on choisit l'illustrateur? Est-ce qu'on peut leur dire quoi dessiner? Est-ce qu'on voit les croquis? Est-ce qu'on s'est déjà disputé avec un de "nos" illustrateurs? (!) Un élève avait le même nom qu'un illustrateur connu. Ses questions étaient pointues. Il m'a demandé pourquoi, parfois, il y a plusieurs pages blanches dans les livres. J'aurais aimé avoir un "huit pages" sous la main pour rendre mon explication plus concrète.


Cet après-midi, au cours de la période "disponible au public", j'ai eu deux visites de gens très différents mais qui visaient le même but. D'abord, une dame d'origine bulgare qui avait écrit une histoire pour les préados. Elle aurait espéré que j'en lise un court extrait pour lui donner mon opinion, mais je l'ai plutôt dirigée vers le programme de parrainage de l'UNEQ. Même conseil à mon deuxième visiteur, un jeune homme de 17 ans (il m'aurait dit 21 et je l'aurais cru tellement il semblait mature) qui avait déjà publié un livre à compte d'auteur. Il voulait des conseils pour l'envoyer à des maisons d'édition. Deux personnes décidées. Deux belles rencontres qui ont occupé mon heure et qui ont fichtrement bien terminé ma journée.

mardi 22 avril 2014

Les derniers moments

Déjà presque à la fin du parcours. Aujourd'hui, je serai disponible de 16 h à 17 h pour le public de la bibliothèque. Après, que six jours de présence ici! Le temps file en TGV...

Voici les heures où vous pouvez venir parler avec moi, de tout et de rien, mais surtout de livres...
Mercredi le 23 avril: de 17 h à 18 h (c'est la journée mondiale du livre et du droit d'auteur)
Jeudi le 24 avril: de 14 h à 16 h
Mardi le 29 avril: de 16 h à 17 h
Mercredi le 30 avril: de 17 h à 18 h
Jeudi le 1er mai: de 16 h à 17 h
Vendredi le 2 mai: de 13 h à 14 h

jeudi 17 avril 2014

Une bonne question...

Ce matin, j'ai rencontré les élèves d'une classe de troisième année à la bibliothèque Claude-Henri-Grignon, à Longueuil. Des jeunes allumés, comme on dit. Une fillette qui, à elle seule, aurait pu passer une heure à me poser des questions, toutes plus pertinentes les unes que les autres, m'en a posé une assez inusitée. En tout cas, c'est la première fois qu'une enfant me la posait: "Parmi les maisons d'édition où vous avez publié, est-ce qu'il y en a une que vous préférez?" Et vous, les auteurs, qu'auriez-vous répondu? (Je pose la question tout en sachant que, pour des raisons évidentes, je n'aurai pas de réponses ici.)

Un de mes textes avance assez bien. Un manuscrit d'album que j'ai fait lire à une amie auteure, qui a eu la gentillesse de m'envoyer rapidement ses commentaires. J'ai pensé à la structure de ce texte, à mon intention, à l'attrait de l'histoire pour les enfants, à la réaction des parents qui la liraient, à ceci et à cela. J'ai écrit une nouvelle version (qui était probablement la douzième). Cent fois sur le métier... Il m'en reste 88...

lundi 14 avril 2014

L'Art d'écrire

Quand j'ai commencé à écrire, il y a une vingtaine d'années, j'ai lu l'excellent livre L'Art d'écrire, de Pierre Tisseyre (oui, l'éditeur), paru en 1993. Je viens de l'emprunter à la bibliothèque. À la première page, Pierre Tisseyre dit: "De tous les arts, celui qui fait le plus appel à la technique, c'est l'art d'écrire." Puis quelques lignes plus bas, l'auteur rappelle la célèbre citation de Boileau:
"Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage:
Polissez-le sans cesse et le repolissez."

À la page suivante, il rappelle la non moins célèbre:
Écrire, c'est "10% d'inspiration et 90% de transpiration".

Je parie que bien des aspirants écrivains ont abandonné leur projet d'écrire dès la deuxième page.
Pas moi. Mais je souhaiterais tellement inverser ces chiffres et que ce soit vrai!

vendredi 11 avril 2014

Des lieux de vie

Hier, je rencontrais une classe de troisième année à la bibliothèque Georges-Dor de Longueuil. Une autre belle bibliothèque du réseau. J'ai été bombardée de questions. Les habituelles, comme:
  • Quel âge as-tu?
  • Aimes-tu ton métier?
  • Combien de temps ça prend, écrire un livre?
  • Est-ce que c'est toi qui fais les dessins?
Et d'autres, inusitées:
  • T'es-tu déjà endormie en écrivant?
  • Des fois, es-tu tannée d'écrire?
  • Des fois, es-tu fatiguée d'écrire?
  • As-tu un amoureux (une question hors contexte, m'a précisé l'enfant, qui a donné suite à plusieurs autres questions hors contexte...)
Merci à Diane Lavigne pour son accueil et pour la visite des coins et recoins de "sa" bibliothèque. Les bibliothèques sont des lieux de vie essentiels.
Ce matin, à la bibliothèque Raymond-Lévesque, il y a une activité pour les 18 mois à 3 ans. Lecture de contes, chansons, bricolage... Il y a de la vie, ici!

mercredi 9 avril 2014

Je ne suis pas une ogresse

Depuis quelques jours, lors des périodes réservées à la médiation culturelle, je m'installe dans la section jeunesse de la bibliothèque plutôt que d'attendre les visiteurs dans l'"aquarium" du deuxième étage . J'y suis plus près de mes sources et de mon lectorat...
Hier, j'y ai rencontré ma plus jeune visiteuse. Onze mois. La mère me dit que sa fille marche depuis qu'elle a neuf mois. Vous imaginez tout de suite une grande athlète... Mais non! Toute délicate et pas plus haute que trois pommes! Quand elle tombe - ce qu'elle fait rarement -, on voit à peine la différence tellement ses jambes sont courtes.
La petite et sa mère sont bien restées deux heures dans le calme qui régnait hier à la bibliothèque. Une petite bulle de future lectrice qui se promenait et regardait tout. Qui touchait les livres et tentait de les retirer des tablettes. Elle a même écouté un petit bout d'histoire que je lui ai racontée en lui montrant le Lulu de Céline Malépart dans Les Ontoulu ne mangent pas les livres. Elle a souri. "Mangeable", comme on dit souvent. Mais je ne suis pas une ogresse, je ne suis qu'une auteure jeunesse. Et quand je reçois de la "grande" visite comme celle d'hier, mon appétit est rassasié!


P. S. À la bibliothèque Raymond-Lévesque, il y a une salle d'allaitement.